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- Écrit par Pierre DAIX
Le Quotidien de Paris (25/10/1991)
Résurrection de Monticelli
En dépit d'une exposition fondatrice et oubliée de Germain Bazin à l'Orangerie en 1953, « Monticelli et le baroque provençal » qui le joignait à Daumier et au Cézanne « couillard », puis d'une exposition à la Vieille-Charité à Marseille pour le centenaire de sa mort, ce peintre demeure davantage un nom célèbre à cause de Vincent Van Gogh — littéralement fou de sa peinture — que l'auteur d'une oeuvre. Voici qui est réparé et de la plus belle et heureuse façon par le livre que viennent de lui consacrer Charles Garibaldi, agent principal de sa résurrection, et son fils Maria (1). Cent soixante-dix peintures magistralement reproduites en couleurs, touchant à tous les aspects de la production et dont beaucoup sont inédites, nous mettent enfin en contact avec ce maître de la pâte et de la couleur injustement provincialisé par une histoire de la peinture demeurée trop parisienne.
Monticelli, né en 1824, mort en 1886, est sans doute resté marqué par une enfance que son statut de descendant tardivement reconnu le contraignit à passer dans la Provence la plus sauvage, à Ganagobie, oasis dans des paysages de caillasse. Inculte, ne parlant que le provençal, il débarqua à Marseille à onze ans chez ses parents enfin mariés, eut la chance d'y rencontrer le peintre Ziem, qui le confirma dans sa vocation. Après deux voyages à Paris, il s'y installa pour ses trente ans, l'automne du Salon des refusés, et s'y forma dans la redécouverte des scènes
galantes du XVIIIe siècle, qu'il célébra à sa manière, laquelle fut influencée dès le début par Diaz.
Ce qui le poussa vers une peinture d'empâtements, de frottis, nous dirions d'effets de matière, qui sacrifie évidemment le sacro-saint dessin, mais libère des rythmes dignes de Delacroix.
Monticelli s'affirme bel et bien dans la lignée provençale de Fragonard, de Daumier. Il fit de cette exubérance son langage avec d'autant moins de retenue qu'il avait pris l'habitude de travailler sur des panneaux de bois. C'est cette fougue hors des normes qui deviendra sa marque. Exactement ce qui fascinera Vincent Van Gogh et ce que Gauguin refusera à Arles dans son débat avec lui, pariant des « hasards de la pâte », de « tripotage de facture ». Mais tout aussi exactement ce qui provoquera à la fin des années 1870 l'amitié entre Monticelli et un Cézanne encore « couillard ».
Grâce à ce splendide album, voici que nous pouvons juger sur pièces. La tâche de ceux qui réalisèrent les Ektachromes comme des photograveurs était rien moins que facile. Ils s'en sont admirablement tirés. Et c'est tout Monticelli qui se déploie sous nos yeux. Un règne de la couleur jetée, maçonnée, dramatique et absolue qui atteint à l'apothéose dans les petits panneaux finaux, d'un extraordinaire mouvement. L'agrandissement des détails atteste la puissance des rythmes, leur intensité, qui réduit les figures à des signes, des références que la peinture nous impose sans se laisser restreindre par elles.
Monticelli ne fut pas un Peintre maudit. Outre l'argent de ses parents, il eut des collectionneurs et obtint à la fin de sa vie des prix bien supérieurs à ceux des impressionnistes. Sa peinture fut toutefois le défoulement hors d'une vie qu'on voit enserrée dans le victorianisme ambiant, mais n'était-ce pas le lot commun ? Ce bel album complète la biographie par des épilogues, notamment sur la transmission de sa peinture et les documents le concernant, par une bibliographie complète et jusqu'à des radiographies. Un ensemble complet et de qualité.
(1) SKIRA, 800F
Le Quotidien de Paris - Vendredi 25 octobre 1991 (N°3713 Page 19)